Préférence ou fantasme racial ?
Ted, 47 ans, m’a posé cette question :
« Je suis attiré uniquement par les femmes asiatiques. Je les trouve douces et dociles. Est-ce du fétichisme ? »
Oh la la. Voilà une question à laquelle j’aurais pu choisir de ne pas répondre.
Mais justement, c’est peut-être parce qu’elle dérange qu’elle mérite qu’on s’y attarde. Et même deux fois plutôt qu’une.
La préférence « ethnique » : quand l’attirance devient réduction
Se sentir attiré par une personne, c’est normal. Se sentir attiré uniquement par des femmes d’un continent, d’un pays, d’un type physique ou culturel supposé… ça mérite qu’on s’interroge.
Affirmer qu’on est attiré exclusivement par les femmes asiatiques, parce qu’elles seraient « douces et dociles », c’est faire plusieurs raccourcis problématiques :
Cela essentialise un groupe humain : comme si toutes les femmes asiatiques étaient semblables, interchangeables.
Cela projette des stéréotypes fondés sur des idées reçues, souvent issues de l’histoire coloniale, du cinéma occidental ou de la pornographie.
Cela nie l’individualité de chaque femme, au profit d’un fantasme collectif.
On appelle cela du racialisme. C’est-à-dire une pensée qui considère qu’il existe des différences de nature entre les groupes humains, qu’on pourrait réduire à des catégories fixes : comportementales, physiques, culturelles.
Et le fétichisme dans tout ça ?
Le fétichisme sexuel, dans sa définition clinique, est une attirance sexuelle centrée sur un objet, une matière, une partie du corps ou un comportement. Une personne asiatique, noire, blanche ou autre, n’est pas un objet. La réduire à un fantasme ou à une fonction (« douce », « soumise », « exotique ») peut en revanche s’en rapprocher sur le plan symbolique : lorsqu’on désire une image, pas une personne réelle.
On entend souvent :
« Je suis attiré uniquement par les hommes noirs, les femmes maghrébines, les Scandinaves, les Européennes de l’Est… »
Ce genre d’affirmation relève plus souvent du fantasme racialisé que du fétichisme au sens strict.
Ce que cette phrase dit (vraiment)
Quand quelqu’un affirme n’être attiré que par les femmes asiatiques, il ou elle ne parle pas tant des femmes que de l’idée qu’il ou elle s’en fait. Une projection, comme le dit très justement la réalisatrice Sophie Bredier :
« Pour moi, la femme asiatique n’existe pas, elle est trop multiple, comme une projection infinie d’images contradictoires. »
En d’autres termes : il n’y a pas UNE femme asiatique, il y a des femmes asiatiques, toutes différentes, et chacune digne d’être vue pour ce qu’elle est — pas pour ce qu’elle incarne dans un fantasme occidental.
Point Cul-ture G
Je vous invite à regarder le très bon documentaire de Sophie Bredier, elle-même d’origine coréenne et adoptée en France :
Femmes asiatiques, femmes fantasmes
Un film intime et puissant qui explore la manière dont les femmes asiatiques sont perçues, fantasmées, invisibilisées… et qui donne, enfin, la parole aux premières concernées.
En résumé ?
Non, Ted, ce n’est pas vraiment du fétichisme, mais ce n’est pas juste une préférence innocente non plus. C’est une construction culturelle, sociale, souvent inconsciente, mais qu’il est sain de questionner.
Et si cette réponse pique un peu, elle n’est pas là pour blesser, mais pour ouvrir une réflexion.
